Employé de banque, journaliste, attaché de presse dans une maison de disques, directeur littéraire chez Lattès, Louis Nucera a exercé toutes ces professions. Mais son unique vocation, tardivement accomplie, était celle d’écrivain. Ce n’est qu’à l’âge de 42 ans qu’il publia son premier roman L’Obstiné. À travers son œuvre, il retrace la vie des immigrés italiens (Le ruban rouge), évoque ses amitiés avec Cioran, Kessel, Picasso, Cocteau, Brassens, Moretti (Mes ports d’attache), ou raconte son enfance niçoise (Avenue des Diables bleus). Observateur chaleureux, styliste de haute tenue, Louis Nucera a laissé une vingtaine d’ouvrages.
Le dernier résumait de façon prémonitoire le souvenir que garderaient de lui ceux qui ont approché cet humaniste au contact vivifiant. Dans ce recueil de chroniques, écrites de 1994 à 1999, Louis exprime sa passion pour la littérature, son amour du vélo et des chats. Au fil des pages, on croise Léon Bloy, Marcel Aymé, Jean Cocteau, Alphonse Boudard mais aussi quelques champions cyclistes comme Bartali, Coppi et Vietto. De Montmartre à Nice, en passant par les îles et les paysages qu’il affectionne, Louis Nucera, qui ne se prive pas au passage de fustiger les cuistres, nous entraîne dans un beau voyage où seule l’amitié dicte sa loi. Une somme, le résumé d’une oeuvre et d’une vie.
Louis Nucera est né en 1928. Sa mère, restée veuve alors qu’il n’avait pas cinq ans, l’éleva seule. D’elle, il écrira plus tard : «Le temps a galopé. Mes cheveux sont blancs, mon visage ridé. Il n’empêche que cette peur de décevoir ma mère m’habite toujours.»
Dès l’âge de seize ans, il travaille dans une banque, d’abord comme téléphoniste, rêvant obstinément d’y échapper. Les exemples de Guillaume Apollinaire et de Giono l’y autorisaient. Giono n’avait-il pas exercé ce métier durant dix-huit ans ? L’écriture l’en avait sorti. Et Louis Nucera de confier : « Pourquoi pas moi ? La prétention ne me faisait pas défaut. Le jour je soustrayais, additionnais, multipliais, divisais, pointais, tamponnais, dactylographiais et observais ; le soir, je lisais, écrivais, courais la ville à la recherche de personnages dont je ferais mes délices, entêté à peu laisser perdre de ma vie dans l’espoir de la traduire en phrases. Oui la vocation d’écrire me tenait. Qui pouvait être plus grand qu’un écrivain, avoir plus de force d’âme ?»
Mort à vélo
Tout en travaillant à la banque il effectua dès 1954, son apprentissage de journaliste au quotidien communiste Le Patriote. En cette qualité il se rendit un soir à l’hôtel Ruhl et il y rencontra Kessel. Ce fut le début d’une longue amitié, jamais démentie, comme celle qui devait le lier à Georges Brassesns.
En 1964 il quittait Nice pour Paris. Il avait 36 ans. André Asséo, grand reporter à Radio Monte-Carlo lui avait trouvé un emploi chez Barclay pour un essai de trois mois qui se prolongea neuf ans. En août 1968 il terminait le manuscrit de L’Obstiné commencé fin 1964. Il dit à propos de ce manuscrit : « Spectateur de moi-même j’y avais mis beaucoup de mes fièvres, de mes apaisements.» Préfacé par Joseph Kessel, le livre parut en 1970 chez Julliard.
De l’obstination, il lui en fallut encore avant de décrocher, avec L’avenue des Diables Bleus, le prix Goncourt 1979. Le Chemin de la Lanterne lui valut le prix Interallié 1981. En 1993, le prix de l’Académie Française couronna l’ensemble de son œuvre.
Louis Nucera est mort à vélo, le 9 août 2000, renversé par un chauffard à Carros (Alpes-Maritimes) dans cette arrière-pays niçois qu’il avait si souvent parcouru et célébré. Ainsi disparut celui que Cocteau appelait « le donneur de sang », Kessel « le cœur pur », Brassens « l’honnête homme », et qui figure aux premières places dans mon panthéon intime.