Edward Hopper appréciait particulièrement le cyclisme sur piste. Entre 1935 et 1937, il se rendit souvent au Madison Square Garden pour assister à des courses de Six Jours, au grand dam de son épouse Josephine qui aurait préféré le voir devant son chevalet. De cette longue période de gestation naquit un nouveau chef-d’œuvre, cette scène criante de vérité.
Hopper aurait pu peindre la course elle-même, un départ groupé, une arrivée au sprint, le public…, ce n’était pas son genre. Fidèle à ses principes, il a isolé une partie du décor et privilégié une sorte d’instantané. En l’occurence ce cycliste au repos dans le quartier des coureurs. Comme souvent dans ses tableaux, les deux personnages ne se regardent pas ni ne regardent dans la même direction. Qui était ce coureur solitaire perdu dans ses pensées ?
Dans une de ses lettres, le peintre avoue ne pas souvenir de son nom : “I was unable to remember the name of the rider, only that he was young and dark and quite French in appearance. I did not attempt an accurate portrait, but it resembles him in a general way”(« J’étais incapable de me rappeler son nom, simplement qu’il était jeune, sombre et très Français d’apparence. Je n’ai pas cherché à faire un portrait exact mais plutôt ressemblant”.)
En fait, les recherches menées à propos de ce tableau me l’ont confirmé, le coureur s’appelait Alfred Letourneur. Né en 1907 à Amiens, mort en 1975 à New York, il fut professionnel de 1928 à 1942. Surnommé le Diable rouge, il avait remporté une vingtaine de courses sur piste en Amérique du nord et au Canada, avant la guerre, et s’était fixé aux Etats-Unis.
A son palmarès figurent notamment deux records :
le 22 octobre 1938, il atteint 147,058 km/h sur l’autodrome de Linas-Montlhéry, France, derrière une moto;
le 17 mai 1941, il atteint 175,35 km/h à Bakersfield, États-Unis, derrière une voiture.
Se doutait-il qu’il serait immortalisé un jour par le talent de Hopper ?