Archives de la catégorie ‘Mémoire’

Une lettre de Léautaud à Céline

Publié le 24 déc 2014 — par Sam
Catégories Mémoire, Reflets

Leautaud

Qu’y avait-il de commun entre Céline et Léautaud ? Le talent d’écrivain d’abord – encore que dans le cas du premier le terme de génie soit souvent avancé; la dégaine de clochard ensuite, et nul n’ignore que sur la fin de sa vie l’ermite de Meudon avait adopté la mise déguenillée du solitaire de Fontenay-aux-Roses, ce qui tendrait à confirmer leur semblable mépris des conventions et une certaine misanthropie.
Surtout, ce qui les réunit c’est leur amour des chats. Voici à ce propos une anecdote rapportée par Frédéric Vitoux dans son excellent Bébert, le chat de Louis Ferdinand Céline. En juin 1944, Céline décide de gagner le Danemark mais il lui faut d’abord se rendre en Allemagne pour obtenir visas et autres sauf-conduits… A-t-il hésité alors à emmener Bébert ? Selon Frédéric Vitoux, il reçoit à cette époque un mot de Paul Léautaud : « Vous allez sans doute être liquidé à la Libération, lui dit-il en substance, et vous l’aurez bien mérité, je ne verserai pas une larme, mais vous pourrez mourir en paix, sachez que je suis prêt à recueillir Bébert qui seul m’importe. »
Bien que sensible à cette proposition sans ambages, Céline ne lui a pas donné suite. Quant à la lettre ainsi résumée, elle a disparu dans l’incendie du pavillon de Céline à Meudon, le 23 mai 1968.

La Porsche maudite

Publié le 18 nov 2014 — par Sam
Catégories Mémoire

À l’occasion du 59e anniversaire de la mort de James Dean le 30 septembre 1955, nous évoquions ici les circonstances de l’accident qui coûta la vie à l’inoubliable interprète de Giant, À l’est d’Eden et autres classiques du cinéma. Poursuivant les recherches sur internet, on constate que l’histoire de Little Bastard (le surnom donné à sa Porsche 550 Spyder) ne s’arrête pas là. Au même titre que la Facel Vega de Camus, elle est entrée dans la légende noire de l’automobile après une série de faits pour le moins troublants.
Ainsi, Georges Barris, préparateur de la voiture de Jimmy, rachète l’épave 2500 $. Il se fracture la jambe quelque temps plus tard. Peu après, le même Barris revend le moteur et la transmission à deux médecins, Troy McHenry et William Eschrid. Mais, alors que les deux amis se font la course sur la route, la situation leur échappe et c’est l’accident. L’un meurt en percutant un arbre après avoir perdu le contrôle de sa voiture, tandis que l’autre est sérieusement blessé dans sa sortie de route. La série noire se poursuit avec la vente des pièces détachées. Les pneus, encore en très bon état, sont également revendus par Barris. L’acheteur a un accident peu de temps après.
Plus tard, deux jeunes essayent de voler l’épave de la voiture mais l’un d’eux, s’ouvre le bras à cause d’un morceau de métal déchiqueté. Plus tard, un autre homme est blessé en essayant de voler le siège du conducteur couvert de sang. Enfin, Barris décide de cacher la voiture, qui est récupérée par la California Highway Patrol pour l’exposer à titre d’exemple sur les accidents de la route.
La première exposition a connu un désastre. Un incendie se déclare détruisant toutes les voitures aux alentours dans le local et seule cette voiture en sort indemne. Lors de la deuxième, dans un lycée, la voiture tombe et casse la jambe d’un étudiant. Sur la voie menant à Salinas, le camion qui transporte le véhicule a un accident et le conducteur est blessé. À deux autres reprise, la voiture descendra des camions sans causer d’accidents graves, mais en brisant le pare-brise d’un véhicule.
Finalement, en 1959, ce fut la dernière exposition de la voiture en onze pièces, car en 1960 elle disparut mystérieusement avec le camion dans lequel elle était. On n’a plus jamais revu Little Bastard. Mais, aux dernières nouvelles, et on y reviendra plus tard, la célèbre marque automobile envisage la construction d’une réplique, version modernisée de ce modèle.

Louis Nucera, le coeur pur

Publié le 27 mar 2012 — par Sam
Catégories Mémoire

Employé de banque, journaliste, attaché de presse dans une maison de disques, directeur littéraire chez Lattès, Louis Nucera a exercé toutes ces professions. Mais son unique vocation, tardivement accomplie, était celle d’écrivain. Ce n’est qu’à l’âge de 42 ans qu’il publia son premier roman L’Obstiné. À travers son œuvre, il retrace la vie des immigrés italiens (Le ruban rouge), évoque ses amitiés avec Cioran, Kessel, Picasso, Cocteau, Brassens, Moretti (Mes ports d’attache), ou raconte son enfance niçoise (Avenue des Diables bleus). Observateur chaleureux, styliste de haute tenue, Louis Nucera a laissé une vingtaine d’ouvrages.

Le dernier résumait de façon prémonitoire le souvenir que garderaient de lui ceux qui ont approché cet humaniste au contact vivifiant. Dans ce recueil de chroniques, écrites de 1994 à 1999, Louis exprime sa passion pour la littérature, son amour du vélo et des chats. Au fil des pages, on croise Léon Bloy, Marcel Aymé, Jean Cocteau, Alphonse Boudard mais aussi quelques champions cyclistes comme Bartali, Coppi et Vietto. De Montmartre à Nice, en passant par les îles et les paysages qu’il affectionne, Louis Nucera, qui ne se prive pas au passage de fustiger les cuistres, nous entraîne dans un beau voyage où seule l’amitié dicte sa loi. Une somme, le résumé d’une oeuvre et d’une vie.
Louis Nucera est né en 1928. Sa mère, restée veuve alors qu’il n’avait pas cinq ans, l’éleva seule. D’elle, il écrira plus tard : «Le temps a galopé. Mes cheveux sont blancs, mon visage ridé. Il n’empêche que cette peur de décevoir ma mère m’habite toujours.»
Dès l’âge de seize ans, il travaille dans une banque, d’abord comme téléphoniste, rêvant obstinément d’y échapper. Les exemples de Guillaume Apollinaire et de Giono l’y autorisaient. Giono n’avait-il pas exercé ce métier durant dix-huit ans ? L’écriture l’en avait sorti. Et Louis Nucera de confier : « Pourquoi pas moi ? La prétention ne me faisait pas défaut. Le jour je soustrayais, additionnais, multipliais, divisais, pointais, tamponnais, dactylographiais et observais ; le soir, je lisais, écrivais, courais la ville à la recherche de personnages dont je ferais mes délices, entêté à peu laisser perdre de ma vie dans l’espoir de la traduire en phrases. Oui la vocation d’écrire me tenait. Qui pouvait être plus grand qu’un écrivain, avoir plus de force d’âme ?»

Mort à vélo

Tout en travaillant à la banque il effectua dès 1954, son apprentissage de journaliste au quotidien communiste Le Patriote. En cette qualité il se rendit un soir à l’hôtel Ruhl et il y rencontra Kessel. Ce fut le début d’une longue amitié, jamais démentie, comme celle qui devait le lier à Georges Brassesns.
En 1964 il quittait Nice pour Paris. Il avait 36 ans. André Asséo, grand reporter à Radio Monte-Carlo lui avait trouvé un emploi chez Barclay pour un essai de trois mois qui se prolongea neuf ans. En août 1968 il terminait le manuscrit de L’Obstiné commencé fin 1964. Il dit à propos de ce manuscrit : « Spectateur de moi-même j’y avais mis beaucoup de mes fièvres, de mes apaisements.» Préfacé par Joseph Kessel, le livre parut en 1970 chez Julliard.
De l’obstination, il lui en fallut encore avant de décrocher, avec L’avenue des Diables Bleus, le prix Goncourt 1979. Le Chemin de la Lanterne lui valut le prix Interallié 1981. En 1993, le prix de l’Académie Française couronna l’ensemble de son œuvre.
Louis Nucera est mort à vélo, le 9 août 2000, renversé par un chauffard à Carros (Alpes-Maritimes) dans cette arrière-pays niçois qu’il avait si souvent parcouru et célébré. Ainsi disparut celui que Cocteau appelait « le donneur de sang », Kessel « le cœur pur », Brassens « l’honnête homme », et qui figure aux premières places dans mon panthéon intime.

Joseph Delteil, un sage dans ses vignes

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Publié le 30 août 2010 — par Sam
Catégories Mémoire

Joseph Delteil (1894-1978) contribua largement à l’édification de sa propre légende. Et tout ce qui pouvait être dit, écrit et montré sur son personnage, en matière d’hagiographies et d’hommages, l’a été. Pour le reste, c’est-à-dire l’essentiel, « je lègue mon œuvre à mes amis », écrit-il à la dernière page de La Deltheillerie. De fait, on redécouvre aujourd’hui les livres de cet écrivain inclassable qui connut, dans les années vingt, une période d’intense création et de succès mêlé de scandale.

Delteil

 

Il est alors parisien, membre du groupe surréaliste, encensé puis évincé au moment où il livre au public sa Jeanne d’Arc (1925). Cette « biographie passionnée » déclenche contre lui une véritable cabale. Il quitte la capitale pour des raisons de santé en 1931, aux côtés de Caroline Dudley, la productrice de La Revue Nègre avec Josephine Baker.

En 1937, il s’installe à la Tuilerie de Massane, une vieille demeure de Grabels (Hérault) où il mènera une vie d’écrivain-vigneron recevant de nombreux amis, célèbres ou anonymes. Joseph Delteil a manifesté un constant intérêt pour des personnages de dimension nationale ou universelle, pour des figures mythiques ou saintes. Lui qui dit avoir « la tête épique », affirme par son œuvre la permanence d’un genre que l’on voulait condamné dans le contexte historique et littéraire du XXème siècle. Loin de se conformer aux modèles classiques, son épopée s’affiche par ses audaces et sa modernité.

Son écriture unique, enracinée en terre occitane et nourrie de références littéraires multiples, laisse pourtant, comme il se doit dans l’épopée, la première place au conteur et à l’oralité. À travers son œuvre, Delteil livre une vision de l’homme et du cosmos où la recherche de l’harmonie et l’exaltation du rêve poussent l’individu à la conquête du monde.